Les grands personnages de l'archéologie

Zoom sur ces grands personnages qui ont fait notre histoire.

Chaque mois, retrouvez ici le portrait de ces hommes et femmes, parfois de la lumière et souvent de l'ombre, qui ont apporté leur pierre à l'édifice de l'histoire


 

Jacques Boucher de Perthes, le père de l'archéologie préhistorique

La vie de Jacques Boucher de Perthes , digne d'un bon roman, n'est pas à proprement parler exemplaire : mauvais élève qui ne devra ses bons débuts dans la vie qu'à l' aide de son père, écrivain et auteur dont les oeuvres littéraires seront au mieux ignorées, au pire censurées, même ses contributions au monde de l'archéologie seront conspuées et dénoncées par ses pairs avant une reconnaissance sur le tard et encore bien d'autres rebondissements.

Pourtant, le personnage nous apprend une leçon fondamentale : la force de la ténacité. Attaché à des idées révolutionnaire, il se fera seul l'ambassadeur de cette théorie alors complètement saugrenue : l'existence d'un "homme antédiluvien" (préhistorique). Une hypothèse devenue presque une obsession qu'il défendra envers et contre tout, jusqu'à ce qu'enfin la communauté scientifique revienne sur ses jugements.

Bien né, bien placé

De son vrai nom Jacques Boucher de Crèvecoeur de Perthes (un peu long à retenir), il naît en 1788 d'un père naturaliste passionné et directeur des douanes d'Abbeville (Somme) et d'une mère dont les ancêtres la rattachent à l'arbre généalogique de Jeanne-d'Arc.

Abbeville est alors une sous-préfecture de 20 000 habitants dans une région à dominante agricole, où une aristocratie et une bourgeoise cultivées font fleurir de nombreux cercles savants. Les travaux militaires et civils orchestrés par le gouvernement de Napoléon Bonaparte (qui dirige la France dès 1799) multiplient les découvertes de vestiges archéologiques et paléontologiques et dans la région, c'est l'effervescence du collectionnisme. Le père de Jacques participe à cette émulation scientifique.

Pourtant, Jacques Boucher de Perthes, placé dans un pensionnat de la ville, est lion de briller par ses qualités de bon élève. Son père le prend alors comme commis aux douanes d'Abbeville et l'envoie dans de nombreuses missions à l'étranger. Il parcours une grande partie de l'Italie, la Croatie, la Basse-Syrie, l'Autriche, l'Allemagne... C'est un jeune homme de 23 ans bien plus cultivé et expérimenté qui rentre alors en France et rencontre alors l'Empereur.

Son avenir devient plus brillant : il publie ses premiers poèmes et est nommé à la direction générale des douanes à Paris. Le jeune picard voit alors s'ouvrir les salons du faubourg Saint-Germain.

Espoirs déçus et nouvelles passions

Jacques passe trois ans à Paris, où il se destine à devenir auteur d'oeuvres littéraires et théâtrales. Il fait lire en public sa première tragédie, se prend à lorgner sur le Théâtre français... Trois ans d'espoir qui s'effondrent en même temps que l'Empire : muté à Morlaix en Bretagne, il y restera dix ans.

Une décennie qu'il consacre à écrire, à composer, à faire des recherches... il ne désespère pas de briller un jour dans les cercles littéraires parisiens. Mais par deux fois ses pièces subissent la censure royale. Il se tourne vers l'étude du folklore local et commence à s'intéresser à l'histoire et aux traditions anciennes.

La mort de son père et sa succession à son poste le ramènent à Abbeville où il reprend sa place dans les sociétés savantes. Il est élu en 1830 à la tête de la "société d'émulation" et se tourne vers l'archéologie régionale. Il fonde avec le docteur Casimir Picard le "musée d'Abbeville et du Ponthieu" et se lance en 1837 dans ses premières fouilles.

Une idée de fou... ou un trait de génie ?

En 1838 dans son ouvrage "De la Création", il prédit que tôt ou tard les chercheurs finiront par trouver dans le sol les traces d'hommes "antédiluviens". D'hommes préhistoriques ? Quelle idée ! Bien sûr, depuis le XVIIIe siècle les historiens ont commencé à périodiser l'Histoire : l'Humanité a connu plusieurs grandes époques séparées les unes des autres par des événements spectaculaires et marquants. Mais la plus ancienne de ces périodes est alors "l'Antiquité" (naissance des civilisations grecques puis modernes). Point de mention d'un homme ayant vécu avant, dans des temps encore bibliquement appelée "antédiluviens" et dont les vestiges paléontologiques témoignent de l'existence.

Donc les mastodontes, oui, mais les hommes préhistoriques ? pas question de l'envisager.

C'est pourquoi lorsqu'en 1849 Jacques Boucher de Perthes publie son premier tome des "Antiquités celtiques et antédiluviennes", où il défend cette théorie, il subit les foudres de l'Académie des Sciences qui réfute son travail.

4 ans plus tard, à 65 ans, il est mis d'office à la retraite. Il en profite alors pour repartir dans de nombreux voyages qui vont le mener à la rencontre de chercheurs, historiens et naturalistes dans toute l'Europe pour défendre sa thèse et l'étayer par d'autres observations sur des sites archéologiques. Le mauvais accueil de sa première publication ne l'empêche pas de sortir un 2e tome en 1857.

C'est seulement en 1859, alors qu'il a 71 ans, que ses idées sont enfin reconnues et les collèges scientifiques acceptent d'étudier ses preuves. Jacques Boucher de Perthes se voit alors désigné comme le père d'une toute nouvelle discipline : la préhistoire. Tout aurait pu finir ainsi si une nouvelle polémique n'avait pas tout remis en cause quatre ans plus tard : l'affaire du Moulin-Quignon.

La mâchoire de Moulin-Quignon : l'erreur de sa vie ?

Cette polémique a opposé des chercheurs français et anglais autour d'une mâchoire découverte sur le site du Moulin Quignon va successivement appuyer puis démonter les théories de Jacques Boucher de Perthes. L'affaire fait tellement de bruit qu'elle devient presque un conflit d'intérêts nationaux.

En 1863, à 75 ans, Jacques Boucher de Perthes n'est pas un retraité inactif. Il travaille alors sur le site du "banc de l'hôpital", dont le "Moulin-Quignon" est le prolongement. Le site est alors daté du "diluvium inférieur" (le Paléolithique inférieur pour nous). Les ouvriers mettent à jour des ossements et des haches taillées, ainsi qu'une mâchoire humaine avec plusieurs dents. Un médecin local est appelé et confirme que cette mâchoire est bien humaine. Eurêka (comme dirait l'autre) ! Voici la preuve indubitable que les théories de Boucher de Perthes sont véridiques : des hommes vivaient au "diluvium inférieur", taillées et artisans sont retrouvés sur le même site.

Cette preuve concrète, c'est la recherche de toute une vie, à un point que Jacques avait lancé un défi à tous les chercheurs en offrant la somme considérable de 200 francs pour le premier vestige humain découvert sur un site antédiluvien.... Et étrangement, ce sont ses propres équipes qui font cette première trouvaille, qui est en fait montée de toutes pièces.

Ultime supercherie qui coûtera à Jacques Boucher de Perthes la réputation récemment acquise auprès de ses pairs.

Car si le médecin local a identifié à juste titre une mâchoire humaine, il lui manquait des points de comparaison pour déceler la tromperie : a cette époque en effet aucun reste d'hommes "fossiles" n'avait encore été identifié comme tel, les chercheurs étaient déjà en plein débat atour de la calotte de l'Homme de Neandertal récemment trouvée. Il ne pouvait donc savoir que cette mandibule au menton bien développée avait des caractéristiques parfaitement modernes.

Mais les chercheurs restent encore sceptiques et les débats autour de cette découverte se multiplient, opposant chercheurs français et anglais dans une querelle passionnée. Le "procès de la mâchoire" est un événement majeur de l'histoire de l'archéologie : c'est la première fois qu'une assemblée de savants aux compétences variées et complémentaires se rassemble pour étudier la recevabilité d'une hypothèse. Et cette assemblée est entièrement autonome des habituelles structures réglementaires : académies, sociétés d'antiquaires, autorités juridiques... La commission, présidée par l'anglais Milne Edwards, se réunit et se déplace sur le site pour l'inspecter et tenter de réitérer les découvertes. Ces débats ont été publiés dans les "Mémoires de la société anthropologique de Paris" la même année, des écrits qui sont encore aujourd'hui une source inestimable pour l'histoire de l'archéologie préhistorique.

L'emplacement de la mâchoire dans des couches très basses du sous-sol persuade la majorité des chercheurs présents de l'authenticité de l'hypothèse mais pas le paléontologue anglais Falconer, qui est le seul à crier au faux. Sa science le sensibilise moins aux preuves de la stratigraphie qu'à celles de la morphologie et il doute de "l'antiquité" de la mâchoire. La scission se fait entre les français favorables et les anglais qui rejoignent Falconer sur la modernité de la mâchoire après que celui-ci ait scié une molaire et révélé la présence d'une abondant gélatine (bizarre pour un fossile). Le doute commence à toucher les cercles français, Elie de Beaumont, alors président de l'Académie des sciences, rejoint le parti anglais et après la mort de Quatrefages, fervent défenseur de Boucher de Perthes, plus personne de soutient la validité de ses hypothèses.

Une conclusion malheureuse pour un homme dont les idées étaient pourtant bien fondées mais dont les aléas de la vie et les erreurs joueront presque toute sa vie contre lui.

Fin de vie d'un savant solitaire

Après l'histoire de Moulin-Quignon, Jacques Boucher de Perthes va se retrancher dans une vie de collectionneur solitaire. Il publie le 3e tome de ses "antiquités..." et se consacre au rassemblement de magnifiques collections pour son propre musée qu'il a fondé à Abbeville et pour le Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye qui sera inauguré en 1867.

Il meurt le 2 août 1868 à Abbeville, laissant derrière lui de nombreuses collections, des écrits sur la préhistoire et beaucoup d'oeuvres littéraires.

Pourtant, peu après sa mort, toute son oeuvre sera reniée par sa famille.

Le coup de grâce sera porté en 1940 par Rommel, qui ordonne le bombardement d'Abbevillle responsable de la destruction de son musée et de certaines des plus belles pièces de sa collection.

Boucher de Perthes était un homme intelligent, tenace, courageux, mais que les circonstances n'ont jamais favorisé. Sans cesse arrêté dans ses élans par les circonstances politiques et sociales, trop précurseur pour ses contemporains, il ne connaîtra la gloire que pour mieux retomber de son piédestal. Pourtant, aujourd'hui son apport inestimable à la recherche en Préhistoire est reconnu. Ses écrits sont un superbe témoignage sur les premiers balbutiements de l'archéologie préhistorique, ses hypothèses étaient tout à fait fondées et il porte aujourd'hui le nom de "père de l'archéologie préhistorique". Tel un poète maudit, le succès viendra après sa mort.

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Dans la même série :

Jacques Bouches de Perthes (juillet 2008)

 

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