L'histoire des parcs archéologiques

L'archéologie : des élites aux musées

En introduction à l'histoire des parcs archéologiques, il me semblait indispensable de vous proposer un petit aperçu de la naissance de l'archéologie, de la mise en place de sa pratique et aussi de sa prise en compte en tant que patrimoine commun.

Petit voyage historique sur les traces des pères de l'archéologie jusqu'aux portes des premiers musées.

SOMMAIRE

Prologue : la naissance de l'archéologie moderne

Quand l'archéologie devient politique

Le XXe siècle : l'archéologie comme science


Prologue : la naissance de l'archéologie moderne

Si la recherche archéologique est une pratique assez ancienne, la notion de "patrimoine archéologique" a mis bien plus longtemps à se former et à s'imposer. Un petit retour sur l'histoire de la science archéologique s'impose, pour mieux comprendre le contexte dans lequel va se développer l'idée que les vestiges archéologiques constituent des témoignages de notre histoire à tous qu'il faut conserver et interpréter pour le bien commun.

Herculanum - Sébastien Norblin de la GourdaineOn replace souvent les débuts de l'archéologie à la fouille des sites d'Herculanum (1738) et de Pompéi (1748). Ces deux opérations marquent effectivement la naissance de l'archéologie moderne, une pratique scientifique qui vise à étudier les traces et vestiges du passé pour en tirer des connaissances sur les populations humaines et leur évolution. Mais l'archéologie, en témoigne l'origine grecque de son nom, est une pratique plus ancienne :

* Pendant l'Antiquité déjà, certains érudits et philosophes se consacrent à l'étude des traces des civilisations disparues. L'archéologue dans le monde antique, c'est celui qui raconte les récits des populations passées. Et déjà les mésopotamiens formulent une très belle pensée : "pour comprendre l'avenir, il faut avoir le passé devant-soi".

le cabinet de Worm* La naissance de la pensée humaniste au Quattrocento va porter en avant la valeur de la personne humaine. La diffusion des textes anciens va donner à la Renaissance un regard avide de modèles antiques. Les objets anciens deviennent autant de trésors à collectionner avec érudition. Jusqu'au XVIIIe siècle, c'est le temps des antiquaires et des cabinets de curiosité : on rassemble et on expose dans des milieux réservés... mais qu'en est-il de l'analyse scientifique et de l'étude comparative ?

L'un des pères fondateur de l'archéologie moderne et de l'Histoire de l'Art est J. Winckelmann (1717-1768), un bibliothécaire allemand vivant en Italie. Il s'est inspiré de ce qui se fait dans le domaine des sciences naturelles pour créer une première méthode de classification comparative des objets, selon leur style. Il arrive à définir des périodes grâce à une succession de styles qui sont liés les uns aux autres par un système complexe d'influences. Si ses théories qui reposent essentiellement sur la volonté esthétique et idéale de l'art ont un peu vieilli aujourd'hui, son influence est encore entière dans notre approche de l'histoire de l'art.

Antoine de Jussieu (1686-1758), botaniste, va lui aussi se servir des pratiques de sa science pour l'appliquer à une réflexion sur les pierres polies. Il contribue à mettre fin au mythe des "pierres de foudres" si prisées dans les Cabinets de Curiosité en leur attribuant une origine manufacturée par l"homme, en s'appuyant sur des comparaisons ethnologiques.

Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) quant-à lui donnera naissance à l'archéologie préhistorique et apportera à la recherche une avancée considérable : la notion de stratigraphie du sol. (un petit article lui est consacré sur ces pages - consulter)

Ils sont encore bien plus nombreux, ces premiers chercheurs et érudits qui vont façonner les prémices de la pratique moderne de l'archéologie, qu'elle soit sur le terrain ou dans les laboratoires : méthodes de fouille, de classification, d'interprétation, recours à l'ethnographie... Les idées commencent à se former. Ils contribueront au XVIIIe siècle à la naissance des nombreuses disciplines qui font aujourd'hui partie intégrante du processus de recherche.

Quand l'archéologie devient politique

Au XIXe siècle, la normalisation des pratiques archéologiques va permettre l'organisation de grandes campagnes, et par conséquent la multiplication des grandes découvertes.

Dans le contexte colonialiste de la deuxième moitié du XIXe siècle, les gouvernements vont se rendre compte du pouvoir de l'archéologie sur l'élaboration des identités communes et vont chercher à reprendre la main sur les érudits et savants pour orchestrer eux-même les recherches et surtout la diffusion des inteprétations. L'archéologie devient l'instrument du politique. (A ce propos, vous pouvez lire le très bon ouvrage "L'archéologie - Instrument du Politique" édité par le Centre de Bibracte, qui rassemble une foule d'articles passionnants et pertinents sur la question).

Les grands départements sont créés, comme ceux d'Egyptologie du British Museum ou du Musée du Louvre, et les expéditions vers l'Egypte et le Moyen-Orient rivalisent dans leur conquête scientifique, mais aussi pour le rayonnement de leur pays. La France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne se concurrencent sur ce qui peut s'apparenter à une grande opération de pillage organisé. Si les interprétations faites dans ce contexte manquent forcément d'objectivité, on ne peut nier le bond formidable que va faire la science archéologique grâce à cette course :

* En 1812, l'explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt met à jour la capitale des Nabatéens, Pétra (actuelle Jordanie)

* En 1822, Champollion présente devant l'Académie ses travaux sur les hiéroglyphes

* En 1829, Edgar Quinet lance les premières fouilles en Grèce

* En 1860 , Auguste Mariette fouille le temple à Horus d'Edfou

* En 1867, Gabriel Bulliot initie les premières recherches sur le site de Bibracte

* En 1873, Heinrich Schliemann découvre le site de Troie. Trois ans plus tard, il retrouve Mycènes

* En 1900, le britannique Arthur John Evans commence l'exhumation du temple de Cnossos en Crète

Arthur John EvansAutant de grandes découvertes et de grands noms qui vont non seulement faire avancer les connaissances historiques, mais qui vont également considérablement enrichir les collections des grand musées européens d'une foule d'objets, dont le rapatriement ne daigne pas se justifier.

Si l'archéologie est un moyen d'intepréter l'Histoire, sa maîtrise permet aux pouvoirs de modeler à leur guise un modèle identitaire fondé sur des racines judicieusement choisies : en témoigne très bien la passion de Napoléon III pour Jules-César et sa Guerre des Gaules. Mais ce n'est pas tout de créer une identité, il est indispensable de la diffuser et de l'imposer dans l'esprit collectif.

C'est parce qu'on souhaitait faire parler les vestiges, leur faire porter un message, que l'on va se détacher du collectionnisme pour entrer dans un nouveau type de présentation au public. L'accès aux expositions se démocratise, et les présentations se thématisent, pour devenir plus "parlantes" et plus attractives, même si l'on est encore loin de la pédagogique et de l'accessibilité actuelles.

musée des Antiquités NationalesEn France, le Musée des Antiquités Nationales ouvre ses portes en 1868 à l'initiative de Napoléon III.

Le musée de la Préhistoire des Eyzies ouvre au public ses premières salles en 1918.

Le XXe siècle : l'archéologie comme science

Au XXe siècle, les principales pratiques scientifiques archéologique sont formulées. Cette formalisation et cette harmonisation des pratiques aboutissent à une professionnalisation de la recherche.

Croulant alors sous les découvertes, il faut également faire progresser les interprétations. La prise en compte du contexte historique devient indispensable, la conservation d'une "mémoire des opérations de recherche" également. Les disciplines scientifiques mises à contribution lors de la recherche et de l'interprétation se multiplient. On n'est plus archéologue mais pallynologue, archéozoologue, paléoethnologue....

En France, comme dans les autres pays européens, la recherche archéologie s'organise au niveau du gouvernement. Si en 1840 la première liste de classement des Monuments Historique ne comptait qu'un seul site archéologique (les alignements de Carnac), dès la moitié du XXe siècle l'archéologie devient une question d'Etat. Voici en vrac quelques dates clef françaises qui mettent dans une même chronologie l'évolution de la législation de l'archéologie, et de l'essor de la notion de patrimoine.

* En 1941 est publiée la Loi Carcopino (validée en 1945), qui attribue à l'Etat le contôle sur les fouilles archéologiques. En réaction, l'année suivante, le territoire français est divisé en circonscriptions archéologiques placées sous l'autorité de directeurs bénévoles des antiquités historiques et préhistoriques.

* En 1962, La loi Malraux est un premier pas de la conservation du patrimoine vers sa valorisation et sa restitution : désormais les secteurs sauvegardés seront gérés au moyen d’un "plan de sauvegarde et de mise en valeur".

* En 1964 est créé le Bureau des Fouilles et Antiquités au sein du ministère de la Culture

* 1973 marque la naissance de l'AFAN (Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales). Sa mission est de réaliser pour l'Etat l'étude, la prospection, le diagnostique, les fouilles, les opérations post-fouilles, la publication, la conservation et la valorisation de vestiges et de sites archéologiques. (Aujourd'hui, l'AFAN est devenue l'INRAP)

* Depuis 1977, selon un décret relatif à l'origine à la protection de la nature, toute opération d'aménagement peut être interrompue au bénéfice d'opérations archéologiques de sauvetage. La même année sont créées les Directions Régionales des Affaires Culturelles (DRAC) : l'Etat commence à se détacher de ses compétences patrimoniales au bénéfice des entités territoriales. Les conservateurs régionaux de l'archéologie succèdent aux directeurs des antiquités.

* 1978: le ministère de la Culture et de la Communication accueille la nouvelle Direction du Patrimoine dont la tache est "d'inventorier, de protéger, de conserver et de faire connaître le patrimoine archéologique, architectural, ethnologique et les richesses artistiques de la France".

* 1981 : création de la Sous-Direction de l'Archéologie au Ministère de la Culture pour étudier, protéger, conserver et promouvoir le patrimoine archéologique national.

* 1989, "Année de l'Archéologie" : M. Jack Lang, alors ministre de la Culture et de la Communication des grands travaux et du Bicentenaire, présente un plan en faveur de l'archéologie assurant l'augmentation des moyens pour l'archéologie de sauvetage, la transformation de certains sites de fouilles en chantiers-écoles internationaux, et un effort en faveur des musées nationaux.

* 1990: l'ICOMOS ( International Council On Monuments and Sites) ratifie la Charte Internationale pour la gestion du patrimoine archéologique."La protection du patrimoine archéologique nécessite la collaboration de plusieurs disciplines différentes"

* 1992 : création de l'Inspection Générale du Patrimoine. La même année, la France signe la Convention de Malte et s'engage à contribuer à la conservation de son patrimoine archéologique si possible in situ, à financer la recherche, à collecter et à diffuser l'information et à lutter contre le trafic. Cette année est une date clef pour le patrimoine archéologique, qui trouve enfin une définition officielle au cours de la convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique à La Valette :

"tous les vestiges, biens et autres traces de l'existence de l'humanité dans le passé, dont la sauvegarde et l'étude permettent de retracer le développement de l'histoire de l'humanité et de sa relation avec l'environnement naturel et dont les principaux moyens d'information sont constitués par des fouilles ou des découvertes ... "

Fin du XXe - début du XXIe siècle : l'archéologie rencontre son public

A la moitié du XXe siècle, l'approche de la recherche archéologique est encadrée, légiférée, maîtrisée. Si la science y trouve un terrain propice à son épanouissement, la communication en direction du grand public va être moins aisée. Pendant longtemps, les concepteurs d'expositions vont privilégier la quantité des vestiges, et les présentations sous la forme de catalogues scientifiques. Le public a du mal à se sentir séduit, concerné, attiré... Ces ancêtres que l'on évoque dans les musées, le grand public ne se les représente pas, ou mal.

Outre ce problème de communication dans les musées, l'archéologie souffre aussi d'une image trop invasive, notamment en contexte urbain. A cause de l'essor démographique et de l'expansion urbaine, la pression sur le patrimoine archéologique se fait de plus en plus forte et les opérations de sauvetage se font dans des conditions parfois effroyables. L'opinion public ne regarde pas toujours d'un bon oeil ces opérations urbaines qui font ressembler leurs rues à des champs de bataille et menées par des scientifiques qui n'ont pas le temps de répondre aux questions, d'expliquer, d'impliquer ...

Une réconciliation était nécessaire, voire vitale pour l'archéologie.

Et les acteurs de la chaîne archéologique vont réussir avec succès à sensibiliser les collectivités à l'intérêt de communiquer autour de l'histoire et des recherches et à leur faire sentir les éventuelles répercussions locales sur l'économie, la culture et aussi l'image de marque. Les expositions se multiplient, les campagnes de communication, les conférences, les animations aussi. Après des années de discrétion, l'archéologie prend également une place de plus en plus importante dans les médias. Aujourd'hui, l'initiation d'un chantier de fouille intègre le plus souvent un projet de valorisation, à court ou à long terme suivant les circonstances, et les expositions consacrées à cette thématique se sont considérablement multipliées : on en comptait une trentaine en 1987 et un peu plus d'une soixantaine en 1993. Ce chiffre est encore en hausse.

L'archéologie aujourd'hui se décline à toutes les sauces, conçues par des cuisiniers aux qualités variables : de la plus haute rigueur à un déplorable amateurisme (heureusement plus rare). Magazines, émissions TV, sites internet, musées, parcs archéologiques, fêtes de l'Archéologie, festivals, spectacles, voyages organisés.... L'archéologie séduit et l'industrie touristique l'a bien compris. Le côté positif, c'est la démocratisation de l'accès à la connaissance. D'un autre côté, un néophyte aura peut-être du mal à faire son choix parmi toutes ces offres, et surtout à en comprendre les intérêts mais aussi les limites. C'est pourquoi il est indispensable de maintenir l'intérêt de la communauté scientifique dans les opérations pédagogiques, pour assurer à tous un respect maximum des connaissances et des potentiels de chaque patrimoine. Ne cédons pas à la tendance à la consommation massive dans nos pratiques culturelles.

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