La Saga du Vinland de Jean-Pierre Camo

Avec sa Saga du Vinland sortie en avril 2008 aux éditions Alphée Jean-Paul Bertrand, Jean-Pierre Camo nous invite sur les traces de ces navigateurs vikings du Xe siècle qui découvrirent l'Amérique avec cinq siècles d'avance sur Christophe Colomb.

Très bien documenté, à mi-chemin entre la fiction et le traité historique, cette saga vous fera découvrir la vie d'Erik le Rouge et de ses enfants; une alternative agréable et plus accessible que les ouvrages sur le sujet disponibles dans les librairies universitaires.

C'est qu'il en a fait, des recherches, des voyages et des visites, pour donner à son récit un fond historique solide mais tout en reliefs, en sensations, en odeurs et en couleurs. Du voyage virtuel sur Internet depuis son Lot natal jusqu'à arpenter les froides terres d'Islande, de Norvège, Jean-Pierre a tenu à voir, sentir et explorer les terres de ses héros et nous le rend bien dans sa Saga.
Mais comment un ancien informaticien catalan, converti en professionnel de l'alimentation bio, s'est-il lancé dans une telle aventure ? Quelle a été sa propre quête ? Petite discussion avec Jean-Pierre Camo pour en savoir un peu plus.



Camille : Bonjour Jean-Pierre et merci d'avance de venir présenter ton livre sur ces pages. Et pour commencer, ta saga est sortie il y a 8 mois, alors quel a été son accueil ? Comment se passe ta vie d'écrivain : des fans, des salons ou un retour à Gaillac, dans le Tarn ?
Jean Pierre : Le roman a été très bien accueilli par les personnes qui me connaissaient soit par le réseau amical soit par le réseau professionnel (je dirige une revue sur la bio). Pour toucher un plus large public, il est nécessaire, surtout pour un premier roman, de bénéficier d’une bonne couverture médias. J’ai eu la chance d’être recommandé par le mensuel Historia et interviewé sur Europe 1. Mon éditeur a cru dès le départ à ce roman et m’a envoyé au Québec pour le présenter aux libraires locaux. Pour les Québécois, ce livre les touche au cœur car il revisite leur histoire. Jacques Cartier n’aura qu’à bien se tenir ! Tu parlais de ma vie d’écrivain, n’exagérons rien, peu d’auteurs peuvent y consacrer leur vie et encore moins vivre de leur plume… Disons que je me suis lancé un défi personnel : écrire un livre n’est-il pas un moyen valorisant de « laisser sa trace » ?

Camille : La vie d'Erik le Rouge est digne des plus grands romans d'aventure, et pourtant il y a peu de fictions ou d'ouvrages grand public sur la société viking du Xe siècle. Qu'est-ce qui t'a réellement amené à t'intéresser à ce sujet et pourquoi as-tu décidé d'en faire le sujet de ton premier livre ?
Jean Pierre : Je crois que la réponse est dans ta question : je m’y suis intéressé justement parce que peu de livres abordent ce thème. Trop souvent on lit dans les manuels scolaires que c’est Christophe Colomb qui a découvert l’Amérique. Et quand on évoque les Vikings en Amérique, c’est rarement sur plus de trois lignes. Il fallait absolument leur redonner la place qu’ils méritent ! Toute cette histoire reste très floue dans l’esprit du public pour qui les Vikings sont des barbares sanguinaires sans foi ni loi. Il y avait à la fois ce goût du mystère qui émane de cet énigmatique peuple surgi des brumes du Nord et cet attrait pour ce que je considère comme la plus grande aventure du Xe siècle.

Camille : Au cours de tes recherches, tu as lu les sagas islandaises des XIIe et XIIIe siècles et de nombreux traités et études archéologiques. Je suis bien placée pour savoir que lire une thèse ou un ouvrage universitaire est une opération parfois fastidieuse qui laisse peu de place au rêve et à l'imagination. En tant qu'autodidacte, comment as-tu abordé cette phase de préparation ? Comment as-tu préservé ta part de créativité ?
Jean Pierre : Les sagas islandaises retracent la vie des premières familles qui ont colonisé l’Islande et leurs descendants. Les textes originaux, transcrits par des clercs sur du vélin, sont archivés à Reykjavik. Trois d’entre elles décrivent le voyage au Vinland, la fameuse Terre des Vignes, que je situe au Canada ou en Nouvelle-Angleterre. Ces textes sont d’incroyables chroniques généalogiques mais, hélas, elles sont peu disertes sur la vie quotidienne de ces gens. Pour cela, nous disposons des trouvailles archéologiques qui complètent bien le tableau.

J’ai lu un grand nombre d’ouvrages d’historiens reconnus, tant en français qu’en anglais. Après trois ans de recherches, je me suis rendu compte que ces livres se recoupaient plus ou moins, j’ai alors compris que j’avais bien circonscrit le sujet et que je pouvais commencer à écrire. J’ai aussi étudié les BD (si, si) qui traitaient la civilisation viking. Il y en a de très sérieuses. Elles furent d’une grande aide car, d’un seul coup d’œil, on voit comment ces gens se vêtissaient, s’alimentaient, commerçaient ou guerroyaient. Je suis un visuel : je vois des images, je m’immerge dans un lieu et une époque et je retranscris. C’est cela ma part de créativité.

Camille : Dans l'imaginaire collectif, le Viking se trimballe encore un paquet d'idées reçues et de mythes : hommes violents portant des casques à cornes et gilets de peaux pillant à tour de bras leurs voisins. Soyons honnêtes, cette image progresse petit à petit et le grand public commence à comprendre qu'il y a une réelle culture viking bien plus sensible et talentueuse que l'on ne croit. Comment as-tu fais pour t'affranchir de ces lieux communs et comment as-tu essayé de ne pas les véhiculer au cœur de ton récit ?
Jean Pierre : Je savais que les Vikings avaient découvert l’Amérique. Ce ne pouvait donc pas être les brutes imbéciles qu’on nous dépeint. Le film avec Kirk Douglas et les BD d’Astérix ont encore aggravé leur cas. C’est vrai qu’ils n’étaient pas des enfants de cœur. Mais ils n’étaient pas plus violents que leurs voisins. Sait-on que Charlemagne a fait décapiter plusieurs milliers de guerriers danois qui refusaient de se convertir au christianisme ? Après ça, comment veux-tu qu’ils portent les chrétiens dans leur cœur et qu’ils aient des scrupules à piller les abbayes qui regorgeaient d’or et d’argent ? Il faut aussi se rappeler que ces peuples ne se sont christianisés qu’au début du premier millénaire, les derniers en Europe.

Le phénomène viking, qui a duré environ 250 ans, n’aurait pas été possible sans la supériorité de leurs bateaux : grâce à leur faible tirant d’eau et à leur rapidité inégalée pour l’époque, les Vikings ont remonté la plupart des fleuves Européens et poussé jusqu’en Turquie. Ils ont fondé Dublin, en Irlande, et York, en Angleterre. Ils ont découvert l’Islande, le Groenland et le Canada. Et on oublie trop souvent qu’ils étaient autant marchands que pillards. Je voudrais revenir sur les sagas, d’abondants trésors littéraires sans équivalent pour l’époque. Et que dire du Gulathing, un recueil de lois qui a inspiré de nombreux codes juridiques au Moyen Âge ? Sans parler de la place des femmes, bien plus enviables qu’ailleurs en Europe. Et pour finir, ces Vikings ont fondé, en Islande, l’Althing, le premier parlement au monde (en l’an 930). Des rustres ? À d’autres !

Camille : Tu as aussi beaucoup voyagé, notamment en Scandinavie, où tu as visité de nombreux musées et sites historiques. Quelle est la place que les Scandinaves réservent à cette partie de leur histoire ? Comment la présentent-ils et quel discours font-ils porter à leurs expositions pour le grand public ?
Jean Pierre : Il existe en effet de nombreux musées vikings en Scandinavie, souvent construits près de lieux de découvertes archéologiques, notamment des bateaux royaux assez bien conservés. Il faut aussi compter les expositions itinérantes dans les autres pays, fort intéressantes. Les Scandinaves connaissent bien leur passé viking mais pas avec plus d’enthousiasme que celui que nous, Français, portons aux Gaulois : c’est loin tout ça ! Quant à la découverte de l’Amérique par les Vikings, cela ne semble pas être un thème très populaire. Les Scandinaves contemporains, peuples pacifiques et tolérants, bien qu’ayant gardé quelques fêtes traditionnelles, notamment celles liées aux changements de saison, vivent plutôt « à l’américaine », en tout cas plus que chez nous. Mais l’intérêt des archéologues ne faiblit pas tant il n’est pas rare qu’ils fassent de nouvelles découvertes en grattant un peu la terre, et il reste, j’en suis persuadé, tant à découvrir encore !

Camille : Et le Canada ? As-tu poussé ton expédition sur les traces d'Erik jusqu'aux contrées américaines ? Comment parle-t-on de cette histoire là-bas ?
Jean Pierre : Il n’existe qu’un seul site avéré de la présence scandinave dans le Nouveau Monde, il s’agit d’un petit comptoir au nord de Terre-Neuve : L’Anse-aux-Meadows. Toutes les autres pseudo-découvertes en Amérique du Nord se sont révélé être de grossiers canulars. Ce site comprend quelques maisons longues typiques et une forge. On y a trouvé quantité de rivets métalliques, de ceux qui servaient à la construction navale. D’où l’idée que L’Anse-aux-Meadows constituait une sorte d’atelier de réparation entre le Groenland et le Vinland. Il n’a pas été occupé très longtemps. Hélas, je n’ai pas eu l’occasion de me rendre sur les lieux… De toute manière, les maigres descriptions des sagas ne peuvent pas correspondre avec Terre-Neuve car le raisin n’y a jamais poussé… Le Vinland est plus au sud. Cette histoire est vaguement connue des Québécois mais pas plus… C’est pour cela qu’ils sont très demandeurs.

Camille : De retour dans le Sud avec la tête plein d'images et d'histoires, qu'as-tu retiré de cette longue aventure ? Est-ce que t'immerger dans une culture si différente a modifié ta perception et ton approche du quotidien ?
Jean Pierre : Écrire, c’est voyager dans le temps et dans l’espace. Et c’est encore plus vrai avec les romans historiques. Chaque fois que je pianotais sur mon clavier, j’avais l’impression non seulement de redonner vie à des personnages attachants qui avaient réellement existé mais, en plus, de passer un moment avec eux. N’est-ce pas fantastique ?

Quand j’ai écrit le mot « fin », ça m’a fait tout drôle, comme si je les enterrais une deuxième fois. Mon quotidien est bien sûr différent mais je reste un Viking dans ma tête. Ah, comme j’aurais aimé découvrir un nouveau continent, créer un embryon de colonie sur une terre inconnue, rencontrer pour la première fois dans l’histoire de l’humanité des Amérindiens… Ce livre m’a permis d’assouvir deux indécrottables penchants ; le voyage et le rencontre de l’autre (c’est-à-dire de ceux qui sont différents). Tu as déjà compris que je ne suis pas un sédentaire dans l’âme…

Camille : Au-delà d'une meilleure connaissance de l'histoire des Vikings, qu'as-tu essayé de transmettre à tes lecteurs ?
Jean Pierre : J’ai écrit ce livre comme un film. Je voulais avant tout les faire rêver, les plonger dans un autre univers. Mais je voulais aussi rester fidèle aux faits historiques. Et peut-être aussi réhabiliter mes amis vikings avec qui j’ai passé sept années si attachantes et si enrichissantes.

Camille : As-tu assouvi ta soif de Vikings ou as-tu encore envie et besoin de pousser encore plus loin des recherches… et offrir une suite à ta saga ?
Jean Pierre : L’histoire du Vinland est bouclée, en tout cas à partir de ce que les sagas nous en disent : je ne peux aller plus loin. Mais étant donné le temps que j’y ai passé, je vais rester sur le thème des Vikings qui m’est familier (attention, je n’en ai pas fait le tour complet, loin de là). Une nouvelle aventure ? J’y pense. Ce serait une histoire d’amour par-delà le temps et les océans, en écho avec la fin de mon premier roman. Ce sera plus léger. Mais chut…

Camille : Pour finir : peux-tu nous dire ce qui t'a le plus ému ou touché dans tout ce qui a constitué cette grande aventure qui t'a mené sur des routes lointaines, jusqu'aux bacs des libraires ?
Jean Pierre : Sans aucun doute le « oui » de mon éditeur après une longue et décourageante série de refus qui a duré plus d’un an. J’en ai pleuré. Ça y est, le livre allait être édité… j’allais enfin pouvoir partager cette merveilleuse aventure avec le public. À son tour de rêver et de voyager maintenant… Et merci à toi, Camille, de faire connaître ce roman à ton public passionné et averti.

 

Merci beaucoup à Jean-Pierre Camo d'avoir pris le temps de répondre à ces questions,
retrouvez plein d'infos sur le livre et son auteur sur son site Internet
LA SAGA DU VINLAND

Le livre « La Saga du Vinland » est édité par les
éditions Alphée Jean-Paul Bertrand
En vente en France (20,90 euros) et au Québec (29,95$)

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