Un nouveau président pour l'INRAP

Un Jean-Paul pour un autre

Ce 4 juillet 2008, Jean-Paul Demoule (en photo à gauche) a cédé la place de directeur de l'INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) qu'il tenait depuis 2002, soit depuis sa création.

C'est Jean-Paul Jacob qui lui succède, nommé par un décret du président de la République publié au Journal Officiel suivant la proposition de Christine Albanel (ministre de la Culture et de la Communication) et Valérie Pécresse (ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche).

L'occasion pour faire un point rapide sur l'archéologie en France et sur les missions de l'INRAP.

Les premières règlementations des fouilles

Si aujourd'hui il paraît évident que l'Etat mène une partie des recherches archéologiques sur son territoire, la formalisation de ses institutions est relativement récente. Bien sûr, vous pouvez penser à Propser Mérimée et aux classements des Monuments Historiques dès 1834, mais il faut savoir qu'alors on ne s'intéresse qu'aux vestiges monumentaux, et tant pis pour les "ruines archéologiques". Sur la première liste de classement, un seul site archéologique : les alignements de Carnac.

Les lois de protection se multiplient, mais l'archéologie peine encore à se faire reconnaître.

C'est en 1941 que le régime de Vichy promulgue la première loi relative aux fouilles archéologiques. C'est la loi Carcopino (validée en 1945), qui donne à l'Etat le pouvoir décisionnel sur les fouilles et qui rend obligatoire la déclaration des découvertes fortuites. Les recherches s'institutionnalisent mais sont encore peu nombreuses.

La pression urbaine de plus en plus forte et deux scandales liés au parvie de Notre-Dame et à la place de la Bourse à Marseille vont inciter l'Etat à plus d'interventionnisme dans le domaine de l'archéologie.

La date à retenir, c'est 1973, année qui connaît la création de l'Association pour les Fouillles Archéologiques Nationales (AFAN). Son objectif est de gérer les budgets du Ministère de la Culture pour les fouilles archéologiques, d'abord programmées puis dès la fin de la décennie de sauvetage. Elle joue le rôle d'intermédiaire entre les chercheurs, l'Etat et les aménageurs.

L'année suivante, c'est le rapport de Jacques Soustelle : cet homme politique, ethnlogue et docteur ès lettres avait été chargé par le président Valérie Giscard d'Estaing d'une mission sur la recherche française en anthropologie et archéologie. Son rapport amène à plusieurs mesures : création d'une "carte archéologique" pour recenser et localiser tous les vestiges connus et présumés, renforcement des effectifs et des moyens pour les fouilles, création d'une caisse pour l'archéologie de sauvetage, dont l'AFAN va se charger dès 1977. Mais 1974, c'est surtout l'année où le code de l'urbanisme se dote d'un nouvel article permettant de refuser un permis de construction en cas de mise en danger du patrimoine archéologique.

De l'AFAN à l'INRAP

La situation paraît favorable à l'archéologie : les aménageurs doivent se plier aux sondages de l'AFAN, l'Etat s'est doté au sein du Ministère de la culture d'une sous-direction de l'Archéologie, François Mitterand mène sa politique de grands Travaux... Pourtant, un scandale va éclater et mettre en lumière les difficultés sous-latentes de l'archéologie : en janvier 1997, c'est "l'affaire de Rodez". Ce site antique est détruit aux 3/4 par un aménageur. Le public s'indigne, l'Etat est contraint d'assumer la faiblesse de ses lois et les limites des actions de l'AFAN.

On cherche une solution, on fait des études pour créer une nouvelle structure, on s'embourbe un peu... et en 1998, le Ministère de l'économie et des finances déclare que l'archéologie préventive doit obéir aux lois du marché : l'AFAN n'est plus le seul opérateur et doit se plier au jeu de la concurrence.

C'est dans ce contexte que Jean-Paul Demoule, qui vient donc de quitter son poste de président de l'INRAP, fait son apparition dans les missions archéologiques nationales. A la fin de l'année 1999, le ministre de la culture missionne un groupe de travail pour recomposer une nouvelle législatoin. Ce groupe est composé de Jean-Paul Demoule, alors professeur d'université, de Bernard Pêcheur, conseiller d'Etat, et de Bernard Poignant, maire de Quimper. Il en ressort que l'archéologie préventive est un service public national à caractère scientifique dont l'Etat est le garant et qui échappe à la logique de concurrence commerciale.

En 2001, une loi est adoptée pour instaurer un redevance pour financer les diagnostics et les fouilles préventives et pour créer un nouvelle établissement public (en non plus une association) qui reprendra les missions de l'AFAN. L'INRAP voit officiellement le jour le 1er février 2002. Ses chercheurs deviennent des agents contractuels de droit public.

Malgré l'impression qu'on a fait un pas en avant, l'INRAP doit rapidement faire face à une crise : les députés se font le relais des aménageurs et demandent un assouplissement des mesures de protection et la réduction de la redevance qui doit financer les recherches préventives, alors que les caisses sont déjà bien légères. A la fin de l'année, cette redevance est pourtant réduite de 25%. Pour survivre, l'INRAP est contraint de réduire ses effectifs et le nombre de ses interventions. L'effet est immédiat : les personnels de l'INRAP se mettent en grève et descendent dans la rue.

Ce conflit ne s'appaisera qu'avec la loi de 2003 qui réaffirme les pouvoirs de l'INRAP et instaure un nouveau système de financement : une taxe sera payée par les aménageurs pour tout projet supérieur à 3 000m². Si l'INRAP reste responsable des diagnostics et de la décision des interventions, les fouilles sont soumises à la concurrence et peuvent être réalisées par des opérateurs publics et privés (sous le contrôle de l'Etat). C'est la situation que l'on vit encore aujourd'hui, même s'il y a eu quelques changements concernant la taxe, qui est désormais calculée sur l'emprise des constructions et non plus sur la totalité de la surface du terrain concerné.

Les missions de l'INRAP

L'INRAP est une grosse institution qui compte plus de 2000 collaborateurs. Son budget pour 2008 est de 137 M. d'euros

Si l'AFAN s'occupait à l'origine de tout types de fouiles, l'INRAP n'est concerné que par les fouilles préventives. Ses missions :

* détecter et étudier le patrimoine archéologique touché par les travaux d'aménagement du territoire.

* exploiter et diffuser l'information auprès de la communauté scientifique

* concourir à l'enseignement, à la diffusion culturelle et à la valorisation de l'archéologie auprès du public

C'est un établissement public de recherche qui est placé sous la tutelle des ministères de la culture et de la communication et celui de la Recherche, et qui est entièrement financé par les aménageurs. L'INRAP n'est pas isolé des autres structures de recherche : son conseil scientifique est composé de représentants des ministères de tutelle, de membres de l'INRAP et d'autres communautés comme le CNRS, les universités et des services archéologiques des régions et des départements. Sur le terrain, l'INRAP collabore avec de nombreux partenaires publics et privés : aménageurs, sociétés d'autorotes, exploitants de carrières, conseils régionaux et généraux, communautés de communes, mairies, entreprises publiques, offices HLM... L'INRAP travaille également en collaboration avec la communauté scientifique internationale

L'INRAP est aujourd'hui le principal intervenant en archéologie préventive(mais pour combien de temps encore ?), sur tout le territoire métropolitain mais aussi en Guyane, Guadeloupe et Martinique. Cela correspond à environ 50% des archéologiques travaillant sur le terrain : spécialistes de toutes les périodes historiques et de diverses méthodes de recherche : géologie, sédimentologie, anthropologie, pallynologie, zoologie, céramologie...... Tous travaillent selon de grands axes de recherche qui permettent de ne pas laisser chaque site isolé des autres mais de les intégrer dans des problématiques plus générales comme "le développement technique des sociétés préhistoriques", "l'habitat rural du Haut Moyen Age", "l'espace urbain"... Chacun de ces thèmes est ensuite sujet à de nombreuses publications, à des rencontres et des colloques qui contribuent à faire avancer les connaissances historiques et les méthodes de recherche.

Quelques chiffres pour finir :

* 8 directions interrégionales

* 50 centres archéologiques

* plus de 2000 diagnostics et environ 300 fouilles par an

* Environ 1 500 archéologues capables d'intervenir sur le terrain sur tout le territoire national

Pour en savoir plus :

- Brochure institutionnelle de l'INRAP (pdf)

- Bilan 2002-2007 de l'INRAP (pdf)

 

Jean-Paul Demoule

Jean-Paul Demoule est un chercheur spécialiste du Néolithique et de l'Age du Fer qui a mené des fouilles en France, mais aussi en Grèce et en Bulgarie. Les étudiants de l'Université Paris I peuvent suivre ses cours de Protohistoire. Il s'intéresse aussi aux aspects théoriques et sociaux de l'archéologie. Il est diplômé de l'Ecole Normal Supérieure.

On l'a vu, il est présent dès l'origine de l'INRAP et a même contribué à sa mise en place. Il a également été membre du Conseil Scientifique de l'Ecole Française d'Athènes.

Bibliographie sélective :

* "La Révolution Néolithique en France", La découverte, 2007

* "L'archéologie, entre science et passion", Gallimard, 2005

* "La France Archéologique", Hazan, 2004

* "Guide des Méthodes de l'archéologie" (collectif), La découverte, 2002

Jean-Paul Jacob

Jean-Paul Jacob, nouveau président de l'INRAP, est loin d'être un débutant. Sa carrière ferait pâlir d'envie de nombreux étudiants ambitieux : Archéologue, docteur d'Etat et conservateur général du Patrimoine, il a été chercheur au CNRS, puis directeur des Antiquités de Franche-Comté, conservateur régional de l'Archéologie en Provence-Alpes-Côte d'Azur, directeur régional des Affaires culturelles de Guyane, puis des Pays-de-la-Loire, et inspecteur général de l'Architecture et du Patrimoine au ministère de la Culture et de la Communication...

Spécialiste de l'Antiquité, cet homme dynamique a travaillé sur la céramologie et sur l'archéologie minière. A n'en pas douter, sa formation d'historien du droit influenc aussi ses recherches. Ainsi, son livre sur les potiers gallo-romains ne se limite pas à un inventaire mais révèle tout un contexte social, économique et juridique. Il a aussi beaucoup travaillé sur l'archéologie funéraire et sur la préhistoire Saharienne.

Autand dire que Jean-Paul Jacob connaît non seulement les institutions sur le bout des doigts, mais n'est pas pour autant isolé de la recherche de terrain. Espérons que ce savant mélange bénéficie à l'INRAP.

Bibliographie sélective :

"Le monde des poteries gallo-romains"

"De la mine à la forge en Franche-Comté, des origines aux XIXe siècle"

"La terre sigillée gallo-romaine"

Quel avenir pour la recherche préventive ?

L'INRAP est encore aujourd'hui le principal intervenant pour l'archéologie préventive, mais pour combien de temps encore ?

La structure n'est pas encore vraiment en danger puisque si aucun prestataire ne réunit les conditions nécessaires pour réaliser des fouilles préventives, c'est l'INRAP qui en est automatiquement chargé. Mais le développement des structures privés et l'ouverture des frontières européennes qui permettent aux équipes étrangères de rentrer dans la course menacent tout de même sa prépondérance.

Cette situation de quasi-monopole n'est pas sans poser de problèmes : la pression urbaine est constante et les délais d'intervention de l'INRAP peuvent donc être très longs et ses effectifs ne lui permettent pas de diriger tous les chantiers. Les membres dirigeants de l'INRAP ne contrôlent ni les budgets, ni les recrutements, qui sont à la charge de l'Etat, une situation qui n'est pas toujours facile à maîtriser. Même si l'INRAP reste une structure très réputée pour la qualité de ses travaux, elle est donc soumise à la dure loi de la concurrence. L'Etat a même commencé à réfléchir à la création d'une filiale privée rattachée à l'INRAP, une idée dénoncée par les membres de la communauté archéologique à l'appel des syndicats qui craignent une privatisation totale de la recherche.

l'INRAP conserve tous les pouvoirs sur les diagnostics, mais les aménageurs peuvent ensuite librement choisir les opérateurs des fouilles entre l'INRAP et d'autres structures agréées par l'Etat dont la liste est librement téléchargeable sur le site du ministère de la culture (ici).

La situation est bâtarde : S'il semble important que l'Etat garde le contrôle sur ses fouilles nationales, il est évident que l'INRAP ne pourra pas faire face à toutes les demandes et déjà aujourd'hui le problème se pose fortement. La privatisation est-elle pour autant la solution ? Les exemples des Etats-Unis et d'autres pays européens ayant fait le choix d'une privatisation des diagnostics sont peu encourageants : s'il ne faut pas généraliser et qu'il y a des structures privés de qualité, il y a quand même un développement des sociétés "spécialistes dans l'art de ne rien trouver" (au bénéfice - involontaire ou négocié - des aménageurs) et une perte dans la diffusion des connaissances scientifiques avec une réduction des publications d'études et de rapports.

Il est difficile de prévoir l'avenir de l'archéologie préventive. Notre société actuelle semble vouloir privilégier l'expansion économique à la recherche scientifique. La pression urbaine, l'influence de plus en plus forte des aménageurs, la réduction des effectifs et des budgets de recherche... ce n'est pas une période bien bénéfique à la science, qu'elle soit archéologique ou autre. Le futur des DRAC (Directions Régionales des Affaires Culturelles) semble également compromis. On assiste à un recentrement de plus en plus serré sur les territoires avec un transfert des compétences à des collectivités aux moyens inégaux. Les services des inventaires ont été les premiers à essuyer les plâtres, et ce n'est qu'un début qui devrait marquer une remise en question complète de la chaîne opératoire de l'archéologie.

Citoyens, prenez garde à ce que votre patrimoine ne finisse pas dans une chaîne d'hyper-économie dans laquelle il pourrait bien se noyer.

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Petit rappel

Archéologie préventive :

"L'archéologie préventive (...) a pour objet d'assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l'étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d'être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l'aménagement" (articke L-521-1 du Code du Patrimoine).

Archéologie programmée :

Les fouilles programmées sont motivées par des objectifs de recherche scientifique sans avoir à répondre à des impératifs de délai ou d'urgence tenant aux menaces pesant sur un gisement archéologique

Diagnostic :

La réalisation d'un diagnostic vise, par des études, prospections ou travaux de terrain, à mettre en évidence et à caractériser les éléments du patrimoine archéologique éventuellement présents sur un site. Ils sont édictés par le préfet de région.

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