Christophe Camps et son "club archéo"

 

Si Christophe est titulaire d'un DEA en sciences de l'Antiquité, il n'en passe pas pour autant tout son temps dans un laboratoire. Actif depuis plus de 10 ans dans les milieux scolaires, ce passionné apporte depuis 2 ans sa pierre à l'édifice de la pédagogie des sciences. C'est pourquoi en 2007 Christophe a initié avec les collégiens et les lycéens des établissements Montalembert à Toulouse un "Club Archéo". De quoi susciter des vocations (bien qu'il s'en défende).


Camille Daval : Bonjour Christophe. Sur le site de ton club, tu donnes une définition très personnelle et très jolie de l'archéologie : " Regarder derrière pour construire devant. Gratter la terre pour l'avenir de nos enfants". D'où te viens cette passion de l'archéologie ?

Christophe Camps : Bonjour Camille. Cette passion me vient de loin. Je me revois tout petit, sous le marronnier de la maison familiale du Gers, en train de "gratter" un petit carré de terre ou de sable et de m'imaginer d'incroyables histoires. C'est cette émotion brute, ce plaisir d'enfant, que je ressens aujourd'hui lorsque je manipule respectueusement des objets fabriqués par des hommes voilà 2000 ans ou plus. Indiana Jones me diras-tu ? Je ne manquais pas une retransmission mais, avec tout le respect que je dois au Professeur Jones, peut-on vraiment parler d'archéologie dans cette saga ?

Très tôt, cette passion s'est affirmée comme un vrai projet professionnel. J'ai notamment effectué mon stage de troisième dans le milieu de l'archéologie. Pendant une semaine, j'ai pu découvrir la post-fouille du chantier de la place Esquirol à Toulouse, avec les archéologues de l'AFAN (future INRAP, Institut National de Recherches Archéologiques Préventives).

La crypte de Saint-Pierre des Cuisines

 

Ensuite, il a fallu attendre la majorité pour empoigner la truelle. Sitôt le bac passé, me voici bénévole sur le chantier de la nécropole toulousaine de Saint-Pierre des Cuisines. Je dois également énormément à Nicolas Valdeyron de l'Université de Toulouse qui m'a beaucoup appris et qui m'a accepté avec des béquilles et des agrafes au genou !

J'ai ensuite enchaîné les expériences sur les chantiers de fouille jusqu'à découvrir l'intérêt de la prospection à l'occasion de mon mémoire de maîtrise.


Camille Daval : Tu as écrit deux mémoires universitaires très scientifiques, qu'est-ce qui t'as ensuite poussé à te tourner vers la médiation et la pédagogie ?

Christophe Camps : C'est sans doute la frustration ressentie à l'époque en attendant mes 18 ans qui me pousse aujourd'hui à faire découvrir le terrain aux plus jeunes d'entre nous. Toutefois, le chemin qui mène aux métiers de l'archéologie et du patrimoine est semé d'embûches et je n'ai pas été épargné durant mon parcours universitaire. Je suis salarié depuis ma première année universitaire, ce qui laisse moins de temps et de disponibilité pour les études mais j'ai toujours réussi à mener les deux activités de front. Par contre, j'ai eu de graves problèmes de santé qui m'ont conduit à être hospitalisé une fois pendant ma maîtrise et une autre pendant mon DEA en Sciences de l'Antiquité. A cela, il faut ajouter le temps passé sur le terrain à faire des allers-retours dans le Gers et dans toute la région pour le bien de mes recherches.

Résultat : une maîtrise en 2 ans et un DEA en 3 ans. Je ne me suis pas engagé dans une thèse sans allocation (elles sont rarissimes et attribuées comme à la loterie) qui aurait duré environ 5 ans pour ne pas avoir l'assurance de trouver un emploi en fin de parcours. J'ai alors traversé une période de doute où j'ai mis ma passion de côté et où j'ai décidé de passer le CAPES d'histoire et géographie. J'ai travaillé ce concours seul avec les cours du CNED ; j'ai été admissible mais je n'étais pas du tout préparé à l'épreuve orale (pas le temps de suivre les cours de l'IUFM en étant salarié). Je m'apprêtais donc à représenter le concours lorsque j'ai été victime d'un grave accident de la route auquel j'ai miraculeusement survécu. Les choses se sont ensuite rapidement enchaînées. La passion a repris le pas sur la raison. J'ai abandonné le concours où je me destinais à enseigner la seconde guerre mondiale : quelle horreur pour quelqu'un qui pense que le Moyen Age c'est trop récent !

Une opportunité s'est vite proposée avec l'association Objectif Sciences basée en Auvergne (Centre de Saint- Anthème, Puy-de-Dôme). J'ai découvert un nouveau métier : celui d'éducateur scientifique en archéologie.

Je connaissais déjà celui d'éducateur (10 ans d'expérience en tant qu'assistant d'éducation, responsable d'Internat, enseignant à domicile) mais c'était la première fois qu'il m'était offert de partager ma passion avec les plus jeunes. Ce fut un réel déclic.


Camille Daval : J'ai vu votre emploi du temps sur votre site internet. Quel dynamisme ! Quel est ton statut au sein de l'équipe enseignante ? Es-tu employé par l'école ?

Christophe Camps : Je suis en effet employé par l'école. Je suis assistant d'éducation dans cet établissement privé et je fais 10 heures d'archéo par semaine. Mon statut est tout à fait précaire puisque je suis en phase de test pour cette première année. Mes heures d'archéo sont en CDD jusqu'à la fin de l'année scolaire et je suis payé sur la même base qu'un simple surveillant. Or, en plus de mes 39 heures hebdomadaires, il faut que je trouve le temps de préparer mes séances et d'administrer le site Internet... C'est tout à fait normal que le projet soit testé car j'ai conscience que c'est assez novateur en milieu scolaire. Les autres Clubs emploient un intervenant extérieur sur 2 ou 3 heures hebdomadaires ou sont animés par un professeur d'histoire-géographie ou de lettres. Toutefois, j'ai clairement un salaire dérisoire compte tenu du travail fourni et de mes compétences (Bac+5). Malgré le succès évident de l'activité, je ne sais pas encore si nous trouverons un terrain d'entente pour la rentrée prochaine...

Tant que la situation ne sera pas réglée, je n'aurais pas une place bien affirmée auprès des enseignants. Ceci dit, de belles collaborations sont possibles avec l'ensemble de l'équipe éducative (Cf. tableau sur site Internet), à l'image de la création du logo du Club avec le professeur d'Arts plastiques ou de l'organisation d'une soirée "Antiquité romaine" avec un professeur de français.


Camille Daval : Comment est né le Club Archéo au collège et lycée Montalembert ?

Christophe Camps : Suite à mes premières expériences réussies en Auvergne, j'ai eu l'idée de monter un projet dans l'établissement que je connaissais le mieux puisque je suis ancien élève et que j'y travaille depuis plus de dix ans. En mai 2007, j'ai donc préparé un dossier d'une vingtaine de pages. En moins de trois semaines, j'avais présenté mon projet à l'ensemble de l'équipe de direction. L'accueil fut positif sur le principe mais le changement de direction n'a pas favorisé le processus. Quoi qu'il en soit, le Club Archéo est bien né en septembre 2008 : l'aventure pouvait commencer...


Camille Daval : Quelles sont les activités au sein du club ? Que préfèrent les jeunes ?

Christophe Camps : Pour cette première année, je fonctionne sans budget, avec mes propres objets et outils archéologiques et une grosse dose de système D. Les idées ne manquent pourtant pas et j'essaie d'aborder des aspects différents de l'archéologie et de l'histoire :

- la découverte des méthodes avec des diaporamas éducatifs sur la prospection et la fouille conclus par un quiz façon "Qui veut gagner des millions ?" (succès garanti !),

- l'évolution des matériaux avec des manipulations d'objets et des ateliers (objet mystère, atelier lavage, marquage, enquêtes historiques ...),

- l'archéologie expérimentale,

- des ateliers multimédia : photographie, Internet, création de jeux vidéos,

- les découvertes récentes et les sujets d'actualités (les Incas, Indiana Jones, etc.),

- la découverte du patrimoine avec des conférences et des visites,

- des recherches personnelles avec la rédaction d'articles, des exposéz, la création de quiz,

- la valorisation des connaissances avec des expositions et des portes ouvertes,

- la création du site Internet (1er janvier 2008),

- la création d'un journal MontArchéo (en cours), etc.

Les jeunes aiment beaucoup les jeux éducatifs et les simulations de chantier de fouilles. Je sais qu'ils ont envie de faire davantage de sorties et d'activités en plein air mais c'était difficile en cette première année. Ils semblent néanmoins ravis de cette expérience et nous préparons la soirée Archéo de fin d'année en attendant impatiemment la sortie du dernier Indiana Jones !


Camille Daval : Y-a-t-il eu beaucoup de jeunes dès le début ou a-t-il fallu aller les chercher ?

Christophe Camps : J'ai fait un sondage avant les vacances d'été, l'an passé. J'avais à ce moment là 38 enfants "pré-inscrits" et beaucoup d'indécis. Après être passé dans les classes pour me présenter, j'ai commencé le Club fin septembre avec 80-90 enfants répartis en 8 groupes (pour 450 collégiens).

En décembre, j'en avais plus d'une centaine. Le bouche à oreille a bien fonctionné (tellement qu'ils m'appelaient tous Jean-Pierre dans la cour, en référence à ma caricature de "Qui veut gagner des Millions ? " façon "Qui veut faire de la Prospection ? "). Malgré l'approche des examens (pour les plus grands) et des vacances (pour les plus petits), je finis l'année avec 90 fidèles.


Camille Daval : Tu accueilles également des enfants intellectuellement précoces ou dyslexiques. Que penses-tu leur apporter avec le Club ?

Christophe Camps : Je n'ai pas d'ambition démesurée par rapport à ces jeunes qui sont comme les autres. J'ai la chance de les avoir dans le cadre d'une option libre qui ne figure pas sur leur bulletin scolaire. J'essaie de leur donner le goût et la curiosité d'apprendre. J'utilise énormément le jeu et l'humour pour faire passer les choses. La notion de plaisir est la base de mon activité. Ma récompense est de voir des enfants s'éclater et retenir des termes scientifiques qu'ils n'arriveraient pas à intégrer dans une matière scolaire. J'essaie juste de les faire progresser ; peu importe le rythme. J'essaie de m'adapter à chacun d'eux, de la 6ème à la 1ère.


Camille Daval : Au-delà de l'idée de créer des vocations, à ton avis quelles sont les valeurs et les qualités que les enfants apprennent en participant à ton Club ?

Christophe Camps : Tout d'abord, je ne suis pas un vendeur de rêves. Je suis très clair avec eux sur leur avenir éventuel dans le monde de l'archéologie. Néanmoins, j'avais également écouté ce discours quand j'étais plus jeune, ce qui ne m'a pas empêché de faire ce qui me plaisait... Par contre, là où ce discours a porté ses fruits, c'est que j'ai fait un parcours le plus large possible pour ne pas me fermer des portes. J'ai donc un double cursus en histoire et histoire de l 'art - archéologie. J'ai également fait de la géographie pour ne pas me barrer la route des concours et, dès que cela était possible, je choisissais une option se rapportant à l'antiquité ou à la préhistoire.

Au Club, mon unique ambition est de leur faire passer un bon moment en découvrant des choses inattendues : "apprendre en s'amusant", telle serait ma devise en quelque sorte. Si je peux en plus éveiller les consciences par rapport à la nécessité de protéger notre patrimoine même le plus infime, le pari serait gagné !


Camille Daval : Quelles sont les qualités d'un bon pédagogue scientifique ?

Christophe Camps : Difficile à dire car c'est un métier récent et en plein développement. Passion, écoute, patience, rigueur, créativité, adaptabilité;. C'est pas mal déjà, on peut voir venir avec tout ça...


Camille Daval : En tant que chercheur, que t'apportent les animations que tu fais avec les enfants ?

Christophe Camps : D'abord, du plaisir ! Je m'éclate avec eux. C'est indispensable. Pour cela, je suis sans cesse obligé de m'adapter et de m'améliorer. Pour arriver à expliquer simplement à un enfant, il faut avoir fait des recherches plus poussées au préalable.

Ensuite, j'ai pour projet de faire de la recherche avec eux : dépasser le stade de l'animateur pour devenir chercheurs tous ensemble. Si le contexte le permet, j'ai l'intention de faire de la prospection pédestre avec eux ; j'ai déjà pris quelques contacts avec le SRA (Service Régional d'Archéologie) de Midi-Pyrénées. A suivre...


Camille Daval : Et cet été, tu vas t'ennuyer ... Des projets avant de retrouver tes archéologues en herbe ?

Christophe Camps : Si je vais m'ennuyer ? Je crains de ne pas avoir le temps avec un mariage à préparer et un petit voyage en amoureux... Des projets ? Un milliard environ. Je suis sur plusieurs pistes intéressantes pour la rentrée prochaine. Rien de sûr à l'heure actuelle mais je souhaite de plus en plus faire de l'éducation scientifique mon activité principale.


Camille Daval : Comment vois-tu l'avenir : souhaites-tu rester dans le monde de la médiation ou as-tu envie de retourner à la recherche plus académique ?

Christophe Camps : Je pense pouvoir être très heureux si j'arrive à vivre correctement en faisant partager ma passion. Je ne cours pas après l'argent sinon j'aurais choisi une autre voie... On ne sait pas ce que l'avenir nous réserve. Peut-être qu'un jour, je ferai la thèse qui manque à mon cursus : pourquoi pas un sujet mêlant l'éducation scientifique et la recherche archéologique ?


Camille Daval : Et pour finir, quel est le conseil que tu donnerais à un jeune qui rêve aujourd'hui de "devenir archéologue" ?

Christophe Camps : Je lui dirais sans doute pour commencer : "T'es pas fou ? Tu sais que c'est pas un vrai métier ça ! Tu ferais bien mieux de devenir plombier ou serrurier". Il ne faut pas lui mentir, ce serait irresponsable. La réalité actuelle montre qu'il y a peu d'élus et je ne connais pas deux archéologues qui ont le même parcours. La raison voudrait donc qu'on trouve un emploi plus sûr et que l'on assouvisse sa passion pendant son temps libre sur les chantiers qui accueillent des bénévoles. Cependant, la vie est courte et il faut aller au bout de sa passion. Il existe plusieurs moyens de parvenir à ses fins. La géologie, l'architecture, les sciences de laboratoire, l'informatique, la photographie, les lettres... sont autant de chemins différents qui peuvent conduire à faire de l'archéologie.

 

Merci à Christophe Camps pour cet interview. Il est vrai qu'il est difficile d'accorder la voix de la raison et celle de la passion.

On retiendra bien sûr ses conseils avisés mais ce qui transparaît au-delà de toute raison,c''est la réelle passion qui anime Christophe. On en vient presque à souhaiter retourner au collège.

Vous pouvez en savoir plus en visitant ses deux sites Internet :

* Son site personnel

* Le site du Club Archéo

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